" Manu Chao un grand monsieur " Article passé dans France Soir

Papier sur un artiste hors normes par Yann Chollet

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L'alternatif à encore de belles heures.

Manu Chao et son Radio Bemba Sound System se produisent le 31 juillet aux arènes de Bayonne. Une fête au c¦ur de la féria. Il n'y a que du bonheur à prendre avec cet artiste hors du commun, à ne rater sous aucun prétexte. D'autant plus que sa tournée française est discrète, voire confidentielle. Pas d'effet d'annonce, aucune promotion mais toujours des salles pleines et survoltées. Un succès à l'image de ses albums, qui s'exportent toujours à des millions d'exemplaires, aux 4 coins de la planète. Le style " Chao " plaît à un large public, c'est une évidence. L'alternatif a encore de belles heures, la preuve en quelques mots.

La réussite de Manu Chao passe assurément par la scène. C'est sur les planches qu'il a gagné, au fil des années, sa notoriété : des soirées féeriques et inoubliables ; des concerts de 4 heures et plus où se mêlent musique alternative et mélodies métissées, les solos " sauce manouche " et la voix chaude de cet humaniste qui pense " que le futur c'est déjà aujourd'hui. " C'est ainsi que " l'auteur-compositeur-interprète " croque la vie comme elle s'offre. L'improvisation est quasi permanente : " Côté programmation, on s'organise du jour au lendemain. Je sais qu'après Bayonne, nous tournerons un mois et demi en France. Mi-septembre, je laisserais l'instinct parler ". Il passera quoiqu'il arrive par Barcelone où il a son pied à terre.

Sur scène, accompagné par Radio Bemba Sound System, une formation éclectique de musiciens, Manu Chao innove une fois de plus dans l'art de surprendre : des paroles profondes, des sons émergeant d'inspirations glanées lors de rencontres, le tout formant un espéranto musical universel. Pourtant, pas de préméditation dans cet acte créatif : " Le hasard est le plus grand artiste de l'humanité. Lorsqu'il sonne à ma porte, mon stylo est près. S'il ne vient pas, je ne fais rien. Mon inspiration se trouve dans la rue, dans l'amour, dans ma vie. Cela vient comme ça se présente, je n'ai pas de thème précis. "

De cette fusion hasardeuse avec l'instant, est né un album " Live " à écouter sans modération. Les 1.000 spectateurs qui ont vu l'artiste à Saint-Malo en juin, salle de l'Omnibus, ne diront pas le contraire. Après avoir obtenu le sésame, suite à des heures d'attente, la foule est restée unanime quant à la puissance du phénomène. A 42 ans, Manu Chao reste débordant d'énergie, comme lorsqu'il était leader de la Mano Negra ou tournait avec les Hot Pants. Les années passent mais la vitalité reste. En transe sur scène, il est indomptable, généreux avec le public, déroutant. Le cocktail musical est quant à lui explosif, inclassable. Il est parfois difficile de garder les pieds sur terre.

Hors projecteurs, ses coups de gueule continuent d'alimenter la chronique : " Lorsque je reviens d'Afrique ou d'Amérique Latine, je me prends une grande claque. La jeunesse est dans le tiers monde. Laissons entrer les émigrés pour qu'ils travaillent chez nous. Les gouvernements de notre vieille Europe ne savent que faire de l'émigration. En réalité, la mode c'est d'embaucher les sans -papiers, pour les traiter comme des esclaves. Personne ne dit rien. " Quant à ses griefs concernant l'éducation nationale, ils sont clairs : " Notre société n'éduque plus les enfants. Les gens se tournent vers le privé et l'école publique devient la dernière roue du carrosse. C'est dangereux. Des mômes ne vont plus à l'école du tout. Les familles baissent les bras, la télévision prend la relève avec les dérives qu'elle impose. Après, on s'étonne qu'ils soient près à tuer pour une paire de Nike. "  

Outre sa présence auprès des alter-mondialistes, aux divers sommets du G8, à la droite du commandant Marcos ou ailleurs, Manu Chao reste indéniablement un routard dans l'âme. Sa soif insatiable de découvrir par le voyage, sa passion débordante pour les autres font de lui un observateur averti. Du Mexique à la Colombie en passant par l'Afrique ou l'Espagne, ce saltimbanque du monde est à l'écoute de la vie et des opprimés. Il porte, sans le revendiquer, la voix d'une jeunesse qui découvre, chaque jour, un univers fait de failles et d'injustices. Drôle d'héritage : " Cette société donne la rage. Le tout est de la canaliser en positif. J'essaye de le faire dans mes chansons, c'est ma thérapie. D'autres brûlent des voitures ? " avoue-t-il.

Sa vision acerbe envers la société ne l'empêche pas de garder espoir : " L'optimisme est une bouée de sauvetage. J'ai rencontré de nombreux gens dans la misère qui se battent pour continuer. Lorsqu'il y a 5 enfants à nourrir et qu'il faut trouver à manger dans la journée, le luxe de se payer une petite dépression n'existe pas. " C'est avec ce genre de phrases que Manu Chao a conquit plusieurs générations, depuis les années 80. Tous trouvent dans ses textes une part de leurs convictions, de leurs attentes, de leurs rêves. Si " la prochaine station c'est l'espoir ", comme le dit la pochette d'un de ses précédents albums, il se pourrait qu'un jour le vent tourne. Peut-être verrons-nous, enfin, une mondialisation intelligente : celle de la bonté humaine. Manu Chao tente de la véhiculer lors de ses concerts, le public en redemande.

Textes Yann Chollet

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