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Pendant quatre ans, il a été la paume, le pouls de la Mano Negra : le bruit des claques qu'elle a mises avec lui, après avoir enflammé les joues de l'Hexagone, s'est répandu bien au-delà . Et puis, pendant quatre ans, silence radio : voyages, rencontres, expériences...

Mais la trace de la Main Noire ne s'est pas effacée :

MANU CHAO

L'international

partout où il va -et il va partout !- les gens l'abordent et lui demandent " Alors, Manu, qu'est-ce que tu fais depuis tout ce temps ?" Et MANU CHAO répond à tous " Attends, je vais te raconter une histoire ..." Et à chacun la sienne : Manu, le rocker déjà très bourlingueur, est devenu conteur d'histoires ! Glanées ici, vécues là, volées ailleurs et transformées tous les jours . Conteur "perdu dans le siècle", comme il le dit lui-même en riant, mais pas pour tout le monde : car les histoires de Manu ont le monde pour cadre, et pour but d'encore plus le secouer...D'abord en chansons, naturellement, puisqu'il est musicien -plus que jamais - et chanteur -mieux que jamais ! En chansons, mais pas que..."Après la Mano, j'ai monté un groupe en Espagne, Radio Bemba ( téléphone arabe, bouche-à oreille en argot des rues de Saint-Domingue ) . On a répété pendant six mois à Madrid, puis on est parti en tournée : elle a explosé en Galice, le pays de mon père, juste au-dessus du Portugal . Enfant, j'y allais chaque été. Là, j'ai redécouvert l'endroit le plus vivant, le plus hanté, le plus fou d'Europe : sa pointe extrême avant l'Océan et les Amériques . J'en ai fait ma nouvelle base, le point de départ des aventures à venir..." Les premières ont nom "CLANDESTINO" (premier album de MANU CHAO), " LA FOIRE AUX MENSONGES" ( spectacle-délire contre déluge de plomb) et "CARAVANE " (des Quartiers en feu d'ici...et d'ailleurs) Elles s'entrecroisent et se renvoient la balle...

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Le chanteur et musicien français publie «Babylonia en Guagua», son premier DVD

Bertrand Dicale

Manu Chao, nomade du nouveau siècle

Figaro, 13.12.2002

 

«Je suis un rat des villes», dit Manu Chao. Un après-midi ensoleillé de cet automne, il savoure ce qu'il appelle «mes luxes» : donner une interview à une terrasse de café de la place George-Orwell, dans ce quartier de Barcelone où il a posé ses valises depuis quelques années. Tout près, des Africains blaguent en wolof et en français, une famille du quartier se lance dans une spectaculaire dispute en public, de jeunes Argentins parlent de leurs familles restées dans leur pays en faillite, des ouvriers de la voirie et un commerçant se chamaillent, les uns en espagnol et l'autre en catalan... Un vrai quartier &endash; turbulent, rude, compliqué &endash;, qui est devenu le port d'attache de Manu Chao, d'où il regarde avec une sereine distance la vie commerciale de ses derniers travaux : le disque en public Radio Bemba Sound System (200 000 exemplaires vendus depuis sa sortie en octobre) et le DVD Babylonia en Guagua (paru cette semaine chez Virgin).

Manu Chao est nomade, un nomade du nouveau siècle. «Tout mon matériel tient dans un sac à dos. En cinq minutes tout est installé, enregistrement et traitement du son, montage vidéo...» Plus encore que les disques de la Mano Negra, ses disques solo, Clandestino et Proxima Estacion Esperanza, sont le produit de ses voyages, de ses histoires d'amour avec des quartiers &endash; à Mexico, à Caracas, à Rio de Janeiro, à Barcelone... Bientôt, il partira pour Istanbul, pour Naples, pour New York peut-être, s'immerger dans un quartier, s'y faire des copains à la boulangerie ou pour le foot de rue, faire la fête dans le voisinage...

 

Sa tournée de 2001 avec Radio Bemba a montré combien sa musique absorbe de musiques festives &endash; rock, ska, raggamuffin, électro, salsa, reggae, musiques urbaines latines &endash; pour en faire une des plus puissantes et efficaces machines à danser au monde. Et le voyage n'est pas fini. «Je ne peux pas dire où j'en suis, je suis totalement perdu. En ce moment, ma passion, c'est la grosse caisse galicienne. L'après-midi, ces temps-ci, on s'installe dans une boîte de nuit, on expérimente : on branche les machines, on joue des percussions par-dessus. Le soir, on passe des disques, on fait danser les gens. Parfois, on continue à jouer derrière les platines &endash; c'est un laboratoire... Une chose est sûre, j'en ai un peu marre du circuit des concerts, j'ai besoin du circuit des discothèques. Le format du concert de trois heures ne me suffit plus. J'ai besoin de la discothèque pour ses horaires, besoin de la scène de dix heures du soir à six heures du matin. Débrancher l'électro, sortir deux guitares et faire une demi-heure d'acoustique, remettre de la boum, rejouer à cinq heures du matin... Ma direction, c'est un mélange de discothèque et de cirque.»

 

Il n'en fallait pas attendre moins d'un artiste toujours en rupture, et depuis peu en rupture de maison de disques. Après que toute l'aventure de la Mano Negra et de sa carrière solo se fut déroulée chez Virgin, son DVD marque la fin de son contrat.

«Je suis enchanté d'avoir travaillé avec eux. J'ai plein d'amis chez Virgin mais, philosophiquement, je ne comprends pas ce qui se passe dans les hauts étages, et la fusion avec EMI. Je leur avais dit : «Si vous virez du personnel, je suis dans le tas.» Et je tiens ma parole : je m'en vais.» Et ce n'est pas pour signer avec une autre multinationale du disque. «Une alternative pour une distribution massive comme chez Virgin ? Je m'en fous. Peut-être qu'au lieu de vendre des millions d'albums j'en vendrai deux cent mille en distribuant sur Internet. C'est largement suffisant pour vivre. Une des grandes chances de ma vie, c'est que je n'ai jamais fait de musique parce que j'avais besoin d'argent.»

Chez lui, la musique survient par plaisir &endash; plaisir de jouer, plaisir de chercher, plaisir de rencontrer, plaisir simplement d'entrer dans la fête avec sa guitare, son sampler ou sa grosse caisse. C'est cela, d'ailleurs, qui rend Manu Chao irremplaçable aujourd'hui : capable de remplir Bercy ou le Stade-Vélodrome, de faire le DJ dans une boîte de Barcelone, de jouer avec les musiciens d'un squat à Naples, de participer à une fête de village en Colombie, de se glisser dans le carnaval au Brésil... Alors, comment s'étonner que ses chansons soient indispensables aux fêtes des bobos de la Bastille comme aux musiciens des rues mexicains, que Proxima Estacion Esperanza ait été numéro un des ventes dans la plupart des pays européens («sans une pub télé, et ça j'en suis fier»), que Me gustas tu ait été joué dans tous les bals d'Europe et d'Amérique latine ?

Avec le concert de la Grande Halle de la Villette et quatre films autour de la tournée, des voyages et des engagements de Manu Chao, son DVD lui ressemble &endash; touffu, gourmand, généreux. On en fait un symbole de l'antimondialisation mais ses colères dépassent de loin la stigmatisation du libéralisme contemporain. Non, il pense aux quartiers, toujours : «Ce que je sens à Paris ou ici ou n'importe où ailleurs, c'est qu'il y a une génération perdue &endash; au niveau mondial. Au Brésil ou au Venezuela, les caïds de vingt-quatre ou vingt-cinq ans qui tiennent les quartiers disent la même chose qu'ici : «On ne comprend plus nos petits frères.» La famille a baissé les bras, l'école a baissé les bras. Dans certains quartiers en France, on se fait pousser la barbe, on enferme ses soeurs à la maison, on crie «Vive Ben Laden !». Ici, c'est crâne rasé, «Vive Franco, vive Hitler !», techno, portable et cocaïne. Des mômes de quinze ans... En France, ils sont islamo-fascistes, ici ils sont ibéro-fascistes. L'urgence, c'est de retirer l'éducation des gosses à la télévision !»

Lui, il croit à la circulation des hommes, des langues, des musiques, des plaisirs, à l'universelle urgence de faire la fête ensemble. Un prochain disque, un prochain DVD ? Il enregistre beaucoup, en ce moment. Des chansons, des séquences de vidéo, des rythmes, des humeurs. Quelque chose sortira, un jour ou l'autre &endash; il n'est pas pressé. Il se souvient avoir joué du musette avec ses potes de la Mano Negra dans des villages perdus : «Quand on joue Mon amant de Saint-Jean dans une communauté indigène en Equateur, les mamas trouvent des pas pour danser la valse.» Son futur ressemble à ça, sans doute, quelque part dans dix cultures à la fois, comme pour une autre mondialisation &endash; une mondialité, peut-être.

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