Manu Chao [18 Juin 2003] http://www.lartscene.com/artistes_interviews.php?id_artiste=11

C'est à la fin de la tournée des clubs du Jaï Alaï Katumbi Express, et avant les gros festivals, que Manu Chao s'est (re)posé quelques jours à Paris.

Et c'est assis sur le trottoir d'un bar de l'est parisien que Manu s'est livré à l'art-scène.

L'art-Scène :

La tournée Jaï Alaï Katumbi Express : quelle est l'histoire de cette tournée ? Ce projet avec Fermin Murguruza mûrit-il depuis longtemps ?

Manu Chao :

La tournée s'est finie mardi (17 juin) à Saint Malo. Avec Fermin, on se connaît depuis très longtemps et c'est un copain, alors ça devait se faire. En fait, c'est un coup du sort, mais dans un sens positif : après le dernier album de Fermin, il n'a pas pu envisager de tournée parce que son « clavier » était enceinte, donc il était disponible pour cette tournée avec nous. On a profité de cette maternité. De notre coté, Radio Bemba était aussi le groupe qui permettait de jouer avec Murguruza.

L'art-Scène :

Il y aura de nouvelles dates cette année ?

Manu Chao :

Oui, à partir d'août, mais ce sera dans des lieux plus grands.

L'art-Scène :

Justement, pourquoi ce choix de petites salles sur la tournée qui s'achève ?

Manu Chao :

Jouer dans des petites salles, c'est quelque chose qu'on a toujours fait. En France, les gens ont l'impression que c'est la première fois qu'on fait ça, mais ça a toujours été le cas pour chaque tournée. Jouer dans des clubs, ça fait partie de notre histoire, ça nous paraît indispensable. C'est aussi un moyen de roder le spectacle. Parallèlement c'est important pour les clubs. Ca apporte un souffle nouveau, même financièrement pour des lieux qui ont du mal à vivre actuellement en Europe.

L'art-Scène :

Et le fait que les concerts soient si peu annoncés ?

Manu Chao :

Les concerts "surprise", ça tient aussi aux lieux choisis. S'ils sont plus annoncés, il y a trop de monde qui se déplace, sans billet, parfois de très loin, et tout le monde ne peut pas rentrer. Donc là, ça permet d'éviter les déceptions. Là, les gens sans billets sont une dizaine, on peut les faire rentrer ce qui ne serait pas possible s'ils étaient 100. En Espagne on n'était pas du tout annoncé. On a même changé le nom du groupe. Les gens ne savaient pas qu'ils venaient voir Manu Chao. Les organisateurs parfois ne le savaient pas eux-mêmes. On leur avait vendu un groupe, qu'on leur recommandait, mais sans qu'ils sachent que c'était nous. Il faut savoir doser le robinet de la promo.

L'art-Scène :

Qu'en est-il du Sound system après le concert ? C'est une pratique peu commune.

Manu Chao :

Ca nous paraît naturel d'avoir un moment après le concert, pour les gens qui sont venus. Ca devrait exister partout. Pour le ciné aussi par exemple : Il devrait y avoir un bar pour qu'on puisse discuter du film après, avec les gens qui étaient dans la salle. Nous, on n'imagine pas un concert sans after au bar. Et puis ça évite la sempiternelle question : "Bon, on va où maintenant ?". Ce que je n'aime pas, c'est quand tu sors du concert, que tu as juste le temps de prendre ta douche, et quand tu reviens, la salle doit fermer, les gens sont déjà en train de partir, parfois même la salle est déjà vide ! Nous, le Sound system, c'était dans notre contrat. Les salles qui n'ont pas voulu prolonger le temps du concert, on le les a pas retenues.

L'art-Scène :

A propos du live Radio Bemba, dans quelle optique le CD a-t-il été conçu ? Est-ce juste une carte postale souvenir de la tournée, ce qui expliquerait les enchaînements un peu brutaux et la durée tronquée ?

Manu Chao :

Oui, ces reproches de la durée et des coupures ont souvent été faits. Mais ce sont mes choix et je les assume complètement. Il y avait effectivement matière à faire un double CD, mais après c'est un choix qui a été fait pour ne pas lasser. Nous même, quand on écoutait les enregistrements dans le bus, c'était sympa, mais au bout de 74 min, on changeait, c'était trop long et on en avait marre. De toutes façons, c'est impossible de retranscrire totalement l'ambiance d'un concert. Il manquera toujours quelque chose. Pour les enchaînements, c'est moi qui les ai fait, et j'assume aussi, j'ai même bidouillé puisque j'ai changé l'ordre des morceaux par rapport au concert.

L'art-Scène :

Tes concerts ont toujours un son beaucoup plus rock que les albums. Et sur Jaï Alaï Express les cuivres et l'accordéon ont disparu...

Manu Chao :

Oui c'est un choix délibéré. Ca correspond à une évolution. Sur la précédente tournée, je jouais de la guitare tout du long. C'était sympa, mais j'étais beaucoup plus statique. Sur cette tournée, je lâche plus la guitare et je suis plus libre du coup. Le groupe a envie de ça en ce moment, et on peut le faire aussi. Je ne bougerai pas comme ça jusqu'à 60 ans. A un moment, je jouerais selon l'âge de mes artères.

L'art-Scène :

Où en es-tu avec Virgin ? Le fait que tu étais chez eux jusqu'à présent, c'était encore avec le contrat de la Mano, ou tu avais signé un nouveau contrat ?

Manu Chao :

Non, c'était un nouveau contrat, différent du contrat avec la Mano. Mais maintenant, je suis libre de tout contrat avec eux. C'est fini depuis un an.

L'art-Scène :

Tu vas monter ton propre label ou re-signer avec une major ?

Manu Chao :

Un nouvel engagement avec une major, ça relèverait de la science fiction. C'est une question de confiance. Ils m'ont laissé partir en fin de contrat. Ils savent que ce n'est pas pour aller signer chez une autre major. A vrai dire, pour l'instant je ne me pose pas la question. Il faudrait d'abord que je finisse un disque. Alors je penserai à la distribution, mais je ne sais pas sous quelle forme, maintenant, il y a tellement de moyen, avec InternetŠ Et puis d'ailleurs je ne ferai peut-être plus jamais de disque de ma vie. Alors chaque chose en son temps.

L'art-Scène :

Tu enregistres en ce moment ?

Manu Chao :

Sur la tournée, j'ai écrit des chansons mais rien enregistré depuis un mois. Ca aurait été possible : dans le bus, j'ai mon studio d'enregistrement. Mais après les concerts, les afters étaient agitées. En rentrant dans le bus, on avait plutôt la tête à prendre la guitare et à jouer pour nous qu'à travailler.

L'art-Scène :

Tu as connu la fin de la période rock alternatif avec La Mano Negra. Certains reprochent à la Mano d'avoir été le premier groupe à céder aux sirènes d'une major, entraînant avec elle pas mal de groupes et par conséquent la fin de cette période. Es-tu d'accord avec ça ?

Manu Chao :

A l'époque, c'est vrai qu'il y avait deux écoles entre les partisans de Boucherie et ceux de La Mano. Ca correspondait à un cheminement personnel, ça nous a semblé la chose à faire à ce moment là. Il y aurait peut être eu mieux à faire, je pense qu'on peut toujours faire mieux. Mais si on critique, alors il faut se tenir à ses objectifs. Ce que je remarque aujourd'hui, c'est que les détracteurs de l'époque sont actuellement dans des multinationales, alors que moi, je n'y suis plus. Comme on dit en Italie, "Le temps est gentilhomme", chacun suit son chemin comme il l'entend pour arriver où il veut.

L'art-Scène :

Vous avez révolutionné le monde rock et inspiré bon nombre de groupes actuels qui se réclament de votre influence. Ca fait quoi ?

Manu Chao :

Dans les nouveaux groupes, on retrouve aussi une forte influence des Béru. D'ailleurs quand on écoute des albums des béru et de la Mano, je trouve que ceux des Béru ont mieux vieilli que ceux de La Mano. Que la Mano ait influencé la nouvelle scène, c'est bien sur un honneur. Ca fait toujours quelque chose de se dire qu'à un moment donné on a pu être "prof" et transmettre quelque chose.

L'art-Scène :

Et l'évolution d'un "ex" Mano, que l'on a pu voir sur M6 dans Popstar, ça fait mal ou tu t'en fous ?

Manu Chao :

Bien sur, ça fait mal. Surtout pour l'image de La Mano. Mais c'est quelqu'un que je n'ai plus fréquenté depuis environ 8 ans en fait et chacun suit son chemin comme il l'entend. Je ne suis pas là pour juger.

L'art-Scène :

L'image de la Mano s'est aussi faite grâce aux projets un peu fous...Des projets comme le train ou le cargo, c'est encore possible aujourd'hui ?

Manu Chao :

Oui, c'est encore possible, pour d'autres projets, dans d'autres conditions. Actuellement ça ne pourrait plus se faire en Amérique latine parce que la situation s'est trop dégradée. Ce sont des données qu'il faut prendre en compte. Par exemple, en Algérie, ça aurait été inimaginable il y a 10 ans, d'affréter un train, maintenant ça serait envisageable. J'espère encore réaliser plein de projets de ce type. Il y a tellement de choses à faire.

L'art-Scène :

A propos de tes engagements ou des positions que tu prends, n'es-tu pas face à un problème insoluble face à tes détracteurs : ne pas médiatiser tes engagements fait dire que tu empoche le pognon et que tu ne fais rien derrière, et les médiatiser ferait dire que tu te sers de la cause pour te faire ta pub. Comment vis-tu cette situation ?

Manu Chao :

Quand on est connu, on est forcément critiqué. Au début je souffrais des critiques, mais avec le temps, j'ai appris à bien le vivre. C'est la rançon du succès. C'est comme pour le choix des salles. Si je fais de grandes salles on me dit "tu oublies d'où tu viens". Si je fais de petites salles, on me reproche le fait que tout le monde ne puisse pas profiter des concerts. Quant au choix des causes à soutenir, il faut faire selon sa conscience. Il faut aussi apprécier si ce n'est pas juste pour obtenir le groupe en concert.

L'art-Scène :

T'intéresse-tu encore à la politique intérieure française ?

Manu Chao :

Je m'y intéresse en parallèle avec l'Espagne, dans la mesure où c'est la même politique, entre Sarkozy et Aznar. On a assisté à un durcissement visible en Espagne depuis un an ou deux. Dans mon quartier, les trois quarts des gens sont sans papier. Avant il n'y avait pas de tension particulière avec la police. Maintenant, il y a plus de contrôles, ça change pour l'Espagne. En France, les gens sont habitués à vivre avec leur carte d'identité entre les dents, pas en Espagne.

L'art-Scène :

Dernière question, si tu avais le portefeuille Didier Wampas, tu ferais quoi ?

Manu Chao :

J'arrêterai de bosser à la RATP quand même. Maintenant il va pouvoir le faire. Bien qu'il est assez classe pour continuer. (rires !). C'est un grand artiste. Sur scène, il a vraiment quelque chose de particulier. J'aime aussi beaucoup ses textes, c'est vraiment un excellent parolier. Il est l'égal de Brel pour moi. Il est digne des anciens.