Bon,
d’accord, je ne me suis pas trop foulÈ pour le titre de
cet article mais les vacances approchent, et surtout, je l’aime
bien cette formule suggÈrant de conserver l’espoir de
changer les choses, mÍme si l’on se sent
´ÝguÈlarݪ comme dirait
Manu.
Nous voici donc embarquÈs pour plus de 45Ýminutes ininterrompues de rythmes latino, rapportÈs de ses voyages en AmÈrique du Sud avec quelques dÈtours du cÙtÈ de la JamaÔque et de l’AlgÈrie.
L’aventure solo dÈbute en 1994,
avec la disparition discrËte de la Mano
NÈgra. Manu
s’installe deux ans ý Madrid (o˜ une station de
mÈtro se dÈnomme… Esperanza), forme RadioÝBemba,
collectif de potes musiciens qui l’accompagneront dans ses
premiers concerts, puis sur ses disques.
Cette expÈrience communautaire passÈe, un studio
portable en bandouliËre, il parcourt cette AmÈrique
latine qu’il connaÓt bien depuis les nombreuses
tournÈes effectuÈes avec la Mano, collabore avec des
groupes mexicains, brÈsiliens et argentins, enregistre sur son
data, toute sorte de musiques, de sons et autres bouts de chansons au
grÈ de ses rencontres. Ces prises
´Ýliveݪ serviront de matiËre
premiËre ý la rÈalisation des albums futurs, comme
autant de piËces de lÈgo ý assembler.
De
cette itinÈrance musicale, il en rÈsultera le magique
et trËs ´Ýrootsݪ CLANDESTINO,
vÈritable mÈli-mÈlo enchanteur de musique latino
fait de collages, d’airs traditionnels pÈruviens,
mexicains, boliviens, de bruitages divers enregistrÈs sur les
ondes des radios locales ou dans les rues et les bars.
Rien que du vrai, du sincËre, de
l’authentique.
Šcrit pour l’essentiel en espagnol, ce carnet de voyages,
personnel et intime, rÈalisÈ en dehors des modes et
sorti sans tapage publicitaire, ni effet d’annonce,
connaÓtra un succËs exceptionnel tant en France que dans
les pays de culture hispanique (plus de trois millions de CD vendus
dans le monde dont un million en FranceÝ!).
Avec cet album, proche des racines de la culture populaire des
peuples visitÈs, Manu
CHAO est
ainsi devenu un peu malgrÈ lui, le chantre d’une
rÈbellion humaniste et tiers-mondiste, une vÈritable
icÙne des pays les plus dÈfavorisÈs de
l’AmÈrique latine.
D’habitude, et malgrÈ les bons
sentiments Èvidents qui animent l’artiste, un tel
succËs me ferait plutÙt fuir car,
ÙÝparadoxe, le consensus m’inquiËte plus
qu’il me rassureÝ!
Seulement, voilýÝ! Clandestino
n’a guËre quittÈ ma platine depuis sa sortie en
1998. Pire, ý chaque dÈpart, il est dans mes bagages et
s’associe rÈguliËrement ý mes joies et mes
peines.
(1)ÝProchaine stationÝ: ESPOIR
Inutile de vous dire que j’attendais avec un peu d’apprÈhension le suivant. Le charme n’allait-il pas Ítre brisÈ, les beaux rÍves envolÈs et mon pote Manu, markÈtisÈÝ?
Et
bienÝ! Chers lecteurs, soyez rassurÈs,
l’ÈtÈ musical de Janus est sauvÈ par ce
nouveau miracle.
Pourtant ý la premiËre Ècoute, on a tendance ý penser qu’Esperenza est la copie conforme de Clandestino, en un peu plus festif. MÍme texture sonore, mÍmes thËmes humanistes et rebelles chantÈs pour la plupart en espagnol, mais aussi en portugais, en anglais, en arabe, en dialecte frontalier (portugnolÝ?), un peu en franÁais (´ÝLe rendez-vousݪ), quand ce n’est pas dans toutes les langues ý la fois (´ÝMe Gustas tuݪÝ: Que voy a ser, je ne sais pas, que voy a ser, je ne sais plus, que voy a ser, je suis perdu, me gusta la cena, me gustas tu, … j’aime la guitare, le reggae, toi, la cannelle, le peuple, la Corona, la lasagne, la castagne, le Guatemala et bien sšr, la marijuana)Ý!
Mais on y revient quand mÍme, parce que
c’est irrÈsistible et chaleureux, parce que,
malgrÈ les apparences, il y a un je ne sais quoi de plus que
le prÈcÈdent. L’espÈrance,
peut-ÍtreÝ?
Et puis, ý l’Ècoute, l’envie vous prend de danser comme au
bal, de
participer ý cette fÍte populaire, toute
gÈnÈration confondue, sans chichis, ni tralalas,
mÍme si quelque chose parfois, se serre au fond du cœur,
parce que nous sommes latins, nous devons pleurer d’amour,
Èvidemment (´ÝMiÝvidaݪ)Ý!
Les dix-sept titres s’enchaÓnent, sans pause, ni blancs, dans un rythme fou. Reggae, traditionnels revisitÈs par les communautÈs rencontrÈes, ballades hispanisantes, jazz band aux cuivres Ètincellants, chœurs de gamins, fanfares, airs de manËges, voix de Youri Gagarine, de Madame mÈtÈo-marine piquÈs ý la radio [Marie-Pierre Planchon sur France-Inter, le soir ý 20Ýheures, NDLR] –Ý´ÝPour toutes les zones de la mer du Nord et de la Manche…ݪݖ et des tas de petits bruitages (´Ýmes petits lutins soniquesݪ comme il dit) devenus familiers depuis Clandestino.
Qu’importe alors si l’on retrouve deux fois la boucle de ´ÝBango Bongݪ (sur le magistral hommages ý Bob Marley, ´ÝMrÝBobbyݪ, et sur ´ÝHomensݪ superbement chantÈe en portugais par l’ÈlÈgante rappeuse brÈsilienne Valeria Negre), qu’importe ce pincement de corde Èlectrique en suspension qui apparaÓt comme la signature de l’artiste. PrÛxima estaciÛnÝ: Esperanza creuse vaillamment le sillon musical et philosophique de Clandestino, lý est l’essentiel.
Comme
rÈsister ý la joyeuse et innocente comptine enfantine
´ÝPapitoݪ (ai
papito, ai mamita…) qui
nous conte sur un air de manËge forain, l’histoire
d’un petit gamin allant son chemin persuadÈ que le
bonheur est bien quelque part, au bout du chemin. Ou encore,
´ÝLaÝchinitaݪ, qui sur fond de cuivre mariachis,
chante une petite fille noire qui veut aller au bal, elle veut
s’amuser la petite fille noire, elle veut danser, malgrÈ
la couleur de sa peau… adorable et Èmouvant.
L’ironie est prÈsente aussi, avec notamment,
´ÝLaÝ vacalocaݪ qui nous invite tous ý danser
sur la vache folle, la vache qui donne du mauvais lait, ý
danser jusqu’ý la fin de cette sociÈtÈ qui
va en pourrissant… (´Ýbailemos todos el vacaloca, ese ritmo terminal,
bailemos todos hasta el final, pudriendose la
sociedadݪ).
Par rapport au prÈcÈdent album, l’horizon s’Èlargit encore avec ´ÝDeniaݪ, magnifique chanson kabyle, ý la mÈlodie entraÓnante, guitares claires en crescendo soutenues par les voix d’une AlgÈrie dÈchirÈe et hululement de train dans le lointain. Impressionnant. Ou encore ´ÝTrapped by loveݪ et ´ÝLe rendez-vousݪ exÈcutÈs faÁon jazz-band dont le swing nous ramËne dans les caves de Saint Germain des PrÈs.
Enfin, le dernier titre, ´ÝInfinita tristezaݪ semble faire la synthËse des prÈcÈdents. Sur une courte mÈlodie mÈlancolique, en boucle, sont posÈes des voix de tous pays (russe, anglaise, espagnole, franÁaise). La premiËre, celle de Youri Gagarine, premier cosmonaute ý effectuer un voyage dans l’espace (12.04.1961), s’adressant ý la terre entiËre et la derniËre, la voix d’un enfant interrogeant sa maman sur l’origine de sa naissance…
Avec ce superbe carnet de voyages fait, comme il dit,
de chansons qui ´Ýne
sont ni tristes, ni gaies, mais tristes et gaies et jamais
fermÈesݪ, Manu
Tchao se
montre moins politique que sur le prÈcÈdent, moins
dÈsabusÈ aussi, rappelant ainsi qu’il est certes,
un citoyen du monde attentif, (il est membre de l’association
anti-mondialiste ATTAC, et farouche partisan de la taxe tobine sur
les transactions boursiËres pour supprimer la misËre dans
le monde), mais aussi et avant tout un artiste. Un artisan de la
musique utilisant une certaine joie de vivre pour mieux combattre la
dÈsespÈrance ou la rÈsignation et
dÈlivrer son message d’espoir.
´ÝDans la rue, la
musiqueÝ!ݪ gueulait LÈo dans ses
concerts.
Et bien, avec ces vraies chansons populaires, elle y est dans la rue,
la musiqueÝ!
Et dans mes bagagesÝ!!
NotaÝ: