Mano Negra La main à la pâte

On craignait l'espagnolade de rigueur. Mais Manu rêve vraiment d'Andalousie et des Chunguitos. Elevé au swing de Mr Berry, le voilà la tête du gang le plus chaud de ce côté du pecos. Loouuis non ploouus il n'a pas changé.

01 Avril 1988

Manu Chao : Né dans XVème, d'origine espagnole, des réfugiés politiques du côté de mon grand-père maternel. Chez moi, on parle espagnol. J'y vais le plus souvent possible, surtout à Barcelone. Sinon le plus beau pays du monde, c'est l'Andalousie.

Tu arrives à suivre ce qui se passe là-bas ?

Je ne m'y suis pas vraiment intéressé. Disons que l'Espagne offre au niveau des groupes de super conditions pour jouer. Des groupes de notre niveau vivent beaucoup mieux que nous et travaillent dans de meilleures conditions. Mais musicalement, je crois qu'il y a des groupes vraiment meilleurs en France, plus intéressants au niveau des idées. Si j'habitais en Espagne, je ne ferais pas de rock, plutôt du flamenco, c'est le même esprit, je pense. Pour moi, les rockers espagnols, c'est pas ceux qui portent le Perfecto et que l'on voit dans les concerts rock; les vrais bluesmen sont ceux qui écoutent Tony Gitano, Los ChunguitosŠ certains de ces trucs sont complètement nuls. Nous faisons des reprises de Chunguito, c'est carrément de la variété, mais je trouve qu'il y a plus d'esprit là-dedans que dans certains groupes espagnols.

 

Aujourd'hui, tu es impliqué dans plusieurs groupes à Paris, comme cela se passe-t-il ?

Je joue aussi avec Los Carayos, c'est vrai et c'est sûr que c'est chiant d'avoir deux groupes, c'est une question d'organisation. Le bon côté est que ça évite la routine. C'est parce que nous avons toujours joué dans le même esprit que nous avons tué mon groupe d'il y a un an, les Hot Pants.

Ca te permet d'avoir du recul par rapport au groupeŠ

Disons que dans la Mano Negra, il y a pas mal de musiciens qui changent. Je n'ai pas un groupe défini, il y a trois mecs de base, puis, à côté de ça, des gens qui passent. Le groupe n'est pas stable et je n'ai pas encore trouvé la formule idéale. On a déjà l'alchimie de base, la musique de la Mano Negra, c'est la musique que j'ai vraiment envie de faire, ce sont mes morceaux, textes et musiques. C'est peut-être compliqué aux yeux des gens de voir des musiciens s'échanger entre les groupes. La Mano Negra a été montée vraiment pour faire ces morceaux-là, ceux que j'avais envie de faire depuis la séparation des Hot Pants. [Š]

Parle-moi du 45t de la Mano NegraŠ *

On l'a justement enregistré avant d'avoir signé avec un label. Quand on a commencé, on voulait juste avoir une carte de visite. Ca a intéressé Boucherie dans la mesure où je jouais avec Los Carayos. Pour le moment, pas de projets, ça se passe plutôt au jour le jour. Le groupe est tout neuf. Mais j'aimerais enregistrer dans de meilleures conditions, sortir un truc bien. J'estime ne jamais avoir sorti une galette bien, je n'ai jamais été content.

C'est quoi, la Mano NegraŠ ?

Il y a mille significations. Personnellement, j'ai trouvé ça en lisant une BD. C'était des guérilleros en Amérique du Sud. Au début, on s'est fait traiter de fafs, alors on s'est rencardé sur l'origine du nomŠ Un groupe de paysans anarchistes andalous s'appelait la Mano Negra au début du siècle. En Yougoslavie, la Mano Negra fut plous ou moins trempée dans l'attentat de Sarajevo. La mafia new-yorkaise a aussi sa Mano Negra. Il y a aussi une signification en magie noire. Peut-être qu'inconsciemment, c'est révélateur de mes origines. Mon grand-père était communiste, il n'aimait pas trop les anarchistes.

Ce qui veut dire que le groupe est impliqué politiquement ?

Tu vois, avec les Hot Pants, je n'avais jamais fait de trucs politiques. Idem pour Los Carayos. A la limite, c'est vrai que notre nom a une signification politique, c'est vrai aussi que certains textes sont politiques. On s'est même fait censurer en télé récemment. J'assume tous les textes de toute manière, comme le reste. J'essaie de m'impliquer le plus possible, de la musique à la réalisation du disque, la pochette, le logo, ce genre de choses.

Ca représente quoi pour toi d'être sur un label indépendant ?

Déjà, c'est le meilleur moyen de faire la musique que tu veux sans pressions ni contrôle extérieur. On n'a jamais vraiment démarché auprès des grosses boîtes de disques, ce sont plutôt elles qui sont venues à nous, groupe "hispanisant", en espérant qu'on accepterait de se déguiser en gitans, de rentrer dans leur trip mode branchéŠ On a un nom espagnol et ça leur suffisait tout à fait. D'un autre côté, je ne suis pas en acier trempé. C'est sûr que c'est tentant; tu fais la pute un coup et après tu as la monnaie pour faire ce que tu veux faire, même sans label. On a hésité un moment, puis on s'est dit que ça ne valait vraiment pas la peineŠ ce qui ne veut pas dire qu'un jour, je ne le ferai pas. Je ne suis pas pur et dur. Le ghetto rock, j'en ai rien à foutre, je veux que ma musique plaise à tout le monde, je veux jouer pour tout le monde. Mais j'aime pouvoir faire ce que je veux. C'est vrai que le conflit entre labels alternatifs est complètement absurde. Chaque label a sa position vis-à-vis des concerts qu'il organise, comme interdire ou non l'entrée aux fafs. C'est vrai que des fois, ça peut déraper dans le public, mais on en parle beaucoup trop entre nous. C'est systématiquement les mêmes sujets de conversation qui reviennent, "fafs ou pas", on tourne en rond et on oublie trop la musique.

C'est une situation un peu ferméeŠ

C'est aussi un problème d'esprit. Tu vois, le gros truc différent en Espagne, c'est que les concerts se passent avec le support des mairies. Toutes les villes proposent un concert de rock à côté d'un groupe de balloche quand c'est la fête du bled. Ca veut dire qu0ils seront bien payés et en plus, ils jouent d'entrée de jeu devant un public plus large qu'un simple public rock, vu que c'est gratuit. Les groupes vivent mieux et jouent devant plus de monde, ça ratisse large. Il y a aussi le circuit des clubs, toutes les villes ont leur groupe de rock. Quand on a joué pour les fêtes de Barcelone, à l'affiche, tu avais Wilson Pickett, Graham Parker, Green on RedŠ les gens de Barcelone ont vu ces groupes qu'ils n'auraient jamais pu voir autrement. C'est pareil pour les groupes espagnols. Après, c'est à eux de faire accrocher les gens et ça se ressent au niveau des ventes. A ce niveau, c'est plus sain là-bas. C'est pour moi le truc intéressant. Maintenant, la question est de savoir si ça va durer. Les groupes ont tendance à tirer sur la ficelle et n'hésitent pas à demander de gros cachets, ce qui explique qu'ils viennent rarement en France. Il leur faut dix concerts ici pour gagner ce qu'ils récoltent en un seul là-bas.

Quels sont tes projets maintenant ?

Je suis toujours à la recherche de nouveaux musiciens pour le groupe. Je farfouille tout le temps, dans les studios, dans la rue, dans le métro. Là, je dois aller faire la manche avec des mecs supers que je viens de rencontrer. Pour la Mano Negra, on a une base très solide et il y a peu de chances que ça casse, dans la mesure où le groupe a été monté parce qu'on ne pouvait pas supporter de ne pas jouer ensemble. Ce que je voudrais, c'est faire un groupe extraordinaire, que l'on n'ait pas besoin de répéter ou de se regarderŠ Ce n'est même pas une question de musiciens à la limite, plutôt un problème d'affinités, c'est sentimental.

Et musicalement parlant ?

J'écoute beaucoup de trucs différents, même si j'ai peu de disques. J'ai deux idoles, Elvis et Ray Charles, et puis il y Wilson Picket, Otis ReddingŠ A la limite, il y a même des gens qui reprochent au groupe d'être trop éclectique, on fait un morceau salsa, un rap, un skaŠ En ce moment, je découvre la country avec Hank Williams.

* "La Zarzamora" Les Inrockuptibles, n°11 -----------------_____haut de page